Texte de Rémy Bourdillon issu du Magazine Caribou
Photos de Manuel Bujold, Sel Saint Laurent
Sur la Côte-Nord, deux nouveaux producteurs de sel entendent révolutionner les habitudes des Québécois.
Il est partout, tout le temps, à tel point qu’on en consomme bien plus qu’on ne devrait… Pourtant, il est bien rare qu’on se demande d’où provient notre sel. Pas du Québec, en tout cas: le seul endroit où on en extrait dans la province, la mine Seleine aux Îles-de-la-Madeleine, produit uniquement du sel de déglaçage car le gisement n’est pas assez pur pour un usage alimentaire.
Alors, on abandonne l’idée de cuisiner 100% local par manque de ce condiment? Non, parce que les choses sont en train de changer. Un nouveau joueur a fait son apparition récemment en la présence de Sel Saint Laurent, basé aux Bergeronnes sur la Côte-Nord, et qui vend pour l’instant sa production à quelques restaurants de Montréal. Il s’agit de la reconversion inattendue d’un artiste contemporain, Manuel Bujold, aux temps de la COVID-19. «Ça faisait plusieurs années que j’y pensais, raconte-t-il au téléphone. Quand la pandémie est arrivée, je suis resté pris trop longtemps chez moi, alors j’ai décidé de démarrer le projet.»
À plus de 500 km de là, toujours sur la Côte-Nord, la même idée est mûrie par un homme de Longue-Pointe-de-Mingan aux multiples casquettes, Claude Lussier – il est technicien en protection de l’environnement et fondateur du Grenier boréal, une coopérative qui commercialise des légumes et des produits forestiers non ligneux. Sa future compagnie n’a pas encore été baptisée, mais cela ne l’a pas empêché d’avancer: depuis quatre ans, il mène des essais sur sa cuisinière, et entend lancer un projet pilote cet automne.
Un procédé simple, mais peu adapté au Québec
Produire du sel de mer est simple comme bonjour: il suffit de faire évaporer l’eau de l’océan. Cependant, au Québec, les températures estivales ne sont pas assez chaudes pour réaliser cette opération dans des marais salants à ciel ouvert.
Sa solution? Chauffer un bâtiment à l’aide de panneaux solaires, à l’intérieur duquel le sel sera produit.
«On va recréer le climat méditerranéen, pour avoir les meilleurs paramètres en tout temps», explique Claude Lussier, qui en est arrivé à la même conclusion et qui veut se concentrer sur la production de fleur de sel. Celle-ci se forme à la surface de l’eau lors des journées de grosse chaleur, sous l’effet d’une légère brise.
Pour économiser de l’énergie, Manuel Bujold rajoute une étape préliminaire: l’hiver, il fait geler l’eau de mer dans des bassins extérieurs afin qu’une partie se transforme en glace, le restant devenant alors davantage concentré en sel. À l’intérieur, une fois la fleur de sel produite et récoltée, il augmente la température: se forment alors des cristaux de sel, plus croquants, semblables au sel de Maldon anglais. C’est ce produit qui l’intéresse avant tout, pour son goût et sa beauté.
Plus pur et plus rentable
Tant en Minganie qu’en Haute-Côte-Nord, l’eau de mer sera puisée en profondeur dans le golfe du Saint-Laurent, afin de s’assurer qu’elle est la plus pure possible – notamment exempte de particules plastiques. Travailler sous un toit permettra aussi d’éviter que des brindilles ou autres déjections d’oiseaux viennent salir le sel.
Les deux entrepreneurs restent évasifs sur leur production finale, mais assurent qu’elle sera importante, car ils veulent s’inscrire dans la démarche d’autonomie alimentaire du Québec. «On s’attend à avoir des rendements assez intéressants lors du projet pilote, qui vont nous permettre de déterminer les dimensions de l’usine, le but étant d’inonder le marché québécois», lance un Claude Lussier optimiste. Manuel Bujold l’est tout autant: son projet est plus avancé encore, et la construction de sa fabrique devrait être terminée à l’automne.
Pour ce qui est du prix, le sel québécois devrait être compétitif avec le sel importé, prévoient ses promoteurs. Certes, des investissements qui se comptent en millions de dollars devront être faits, mais les coûts de transport (qui représentent le gros du prix du sel) seront largement inférieurs à la concurrence étrangère… de même que les émissions de gaz à effet de serre.
Pouvoir travailler en continu dans des installations fermées, alors que les sauniers européens dépendent de la météo, donne également un bel avantage à nos deux Nord-Côtiers. Pour l’instant, Sel Saint Laurent travaille de façon très artisanale et vend des petites boîtes numérotées de 125g à 12,95$, mais ce montant va donc lui aussi finir par s’évaporer à mesure que la production s’industrialise…
Le magazine Caribou est né d’une idée folle: celle de mettre en lumière la culture culinaire québécoise à une époque où plusieurs se demandaient si le Québec possédait réellement une telle culture. Le Magazine publie du contenu de qualité en lien avec la culture culinaire québécoise depuis maintenant plusieurs années!