Le repas de cabane à sucre, propulsé dans l’ère 2.0

Terroir et Saveurs du Québec
 • 1 year ago

Aux prémices du printemps, l’activité humaine reprend dans les érablières. Si la version contemporaine de l’acériculture veut que l’on produise beaucoup grâce à une technologie de pointe, à côté, se trouvent des témoins d’un patrimoine culinaire ébranlé par la pandémie: les salles à manger de cabanes à sucre. Grâce à Ma cabane à la maison, un service en ligne de boîtes gourmandes à consommer chez soi, la tradition s’adapte à la réalité de 2021.

Texte d’Hélène Raymond, issu du Magazine Caribou.

Avant le changement d’ère et l’installation d’évaporateurs aussi gros que rutilants, entrer dans la sucrerie, c’était entrer dans un antre masculin. Dormant sur leurs fauteuils et divans de brocante, assis autour de tables de cuisine de fortune, les hommes vivaient dans leur érablière comme en refuge, isolés de l’hiver par un rang de planches, ragaillardis par le «réduit», coupés de la routine de la maison, sans autre horaire que celui dicté par la coulée. Affairés à produire sucre du pays et sirop d’érable.

Les repas servis dans les salles à manger commerciales, apparues au milieu du XXe siècle, s’ajoutaient à la besogne des femmes. Ces maîtresses de la planification réglaient au quart de tour la préparation des mets de cette joyeuse frénésie. Grands-mères et mères, filles, belles-filles, sœurs, belles-sœurs se regroupaient près des fourneaux, cordaient les convives autour des plats traditionnels, leur offraient à boire avant de les pousser dehors pour saucer, licher ou tremper la palette selon le régionalisme. Grâce à ce qui reste de ces coutumes, le début du printemps, au Québec, s’appelle toujours la saison des sucres.

Le dimanche 15 mars 2020, France Demers, de l’Érablière Ferme Magolait en Estrie apprenait la fermeture des salles à manger des cabanes. Frigos et réserves garnis, elle m’écrivait, trois jours plus tard: «J’ai tout congelé ce qui est congelable; les légumes ont été transformés en potage; j’ai donné des aliments aux amis et au foyer de personnes âgées. Pour le reste, on attend.»  Depuis, France s’est accrochée, a promu ses produits d’érable, organisé des collectes sans contact et elle croise les doigts pour rouvrir, au printemps 2021, si les conditions sanitaires le permettent.

Pour sa part, Stéphanie Laurin, issue de la quatrième génération de la famille d’acériculteurs propriétaires du Chalet des Érables, à Sainte-Anne-des-Plaines, a allumé la bougie d’allumage d’un regroupement. Et ce, après avoir monté, en urgence, un atelier de couture pour la fabrication de couvre-visages, dans l’immense salle de réception de la cabane. Dans l’urgence, il fallait créer des revenus.

Au début de l’été, alors que s’est amorcé un retour à une «quasi-normalité», elle sait que l’entreprise familiale a perdu 90% du chiffre d’affaires annuel. Le calendrier de réservations est vide. Elle appelle les compétiteurs pour qu’ils se serrent les coudes dans le but de traverser la crise, ensemble. «Nous avons démarré un mouvement qui regroupe ces restaurateurs-producteurs coincés entre deux chaises, me dit-elle. Nous cherchons notre place dans le milieu de la restauration comme dans celui du tourisme; nous recevons des artistes sans être des salles de spectacle. On ne nous considère pas comme de vrais entrepreneurs. Nous voulons qu’on nous écoute.» Leurs premiers cris d’alarme sont étouffés dans l’émoi d’un été marqué par le déconfinement. «Qui avait envie d’entendre parler de notre survie?» se demande-t-elle aujourd’hui.

Début septembre, le téléphone sonne. Une agence de marketing lui offre sa collaboration «pour sauver les cabanes à sucre du Québec», lui confiera son propriétaire.  Depuis, la femme d’affaires, devenue présidente de l’Association des salles de réception et érablières commerciales du Québec, dit ne jamais avoir consacré autant de temps à un projet. Bénévolement. Sans même savoir, jusqu’à tout récemment, si sa propre entreprise allait survivre.

Selon les chiffres du regroupement, au début 2021, près du quart des 200 cabanes où l’on sert des repas ont cessé toute activité; une cinquantaine d’autres ont choisi de ne produire que du sirop.

Pour celles qui restent se posaient trois choix: patienter, continuer de façon indépendante ou plonger, en créant une nouvelle offre.

Voilà donc Ma cabane à la maison. Stéphanie est fière d’avoir réuni 70 salles à manger, adopté une signature visuelle unique, proposé des achats groupés de contenants, mis en ligne une plateforme web pour nous guider vers chacun des établissements et les 200 points de chute où récupérer les commandes. De Chaudière-Appalaches, à l’Outaouais, en Estrie, Mauricie, Lanaudière chaque cabane suggère son propre menu et détaille sa déclinaison de produits.

C’est l’enthousiasme des consommateurs qui témoignera de l’attachement aux repas de cabane. Pandémie ou pas, il est plus que temps de considérer ces patrimoines, matériel comme immatériel, pour les mettre en lumière avant qu’ils ne s’éteignent. Souhaitons que ces entreprises qui s’engagent dans leur révolution culinaire et numérique fassent plus que survivre à cette autre année particulière. En attendant le retour des jours meilleurs, leur dynamisme sonne comme un appel à la solidarité.

©Photo à la Une: Magazine Caribou

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