Inspirations

Le « Brhum », ou comment faire un rhum local sans canne à sucre

Texte de Virginie Landry
Photos de Daphné Caron

C’est l’histoire d’une distillerie, soit La Chaufferie de Granby, qui, en voulant faire du désinfectant à mains pendant la crise sanitaire, a plutôt développé un rhum à la betterave sucrière. Ainsi est né le premier rhum 100% québécois, le «brhum» Barnston.

Cette eau-de-vie au sucre de betterave (ou un «brhum», un petit mot-valise pour décrire un «beet rum») porte l’identifiant Origine Québec, signifiant que tous ses ingrédients ont été produits et transformés dans la province. Une vraie fierté pour Vincent Van Horne, le distillateur derrière ce projet, qui croit beaucoup en cette façon de faire.

«Ma priorité est toujours d’utiliser des matières premières d’ici», explique le distillateur, qui est aussi vigneron et brasseur. C’est dans les îles Caïmans qu’il a appris l’art de distiller, et l’art de s’approvisionner localement. De retour au Québec, il s’était résolu à ne jamais pouvoir créer un rhum québécois, puisque la matière première du rhum, c’est la canne à sucre et que nous n’en faisons pas pousser ici.

C’est en travaillant sur son «projet Covid», alors qu’il tentait de trouver des matières à faire fermenter afin de créer du désinfectant à mains, qu’il a pu se procurer de la mélasse de betterave, issue de la transformation de la betterave à sucre. Il s’est vite rendu compte du potentiel du produit.

En effet, le rhum régulier est fait de mélasse de canne à sucre qui est fermentée, puis distillée. Le «brhum» de La Chaufferie est fait de la même façon, mais avec de la mélasse de betterave sucrière. Pour en produire, on extrait le liquide de la betterave à sucre pour en faire un concentré, tel un sirop épais, qu’on fera ensuite cristalliser. Puis, le liquide résiduel est séparé des cristaux. Ce liquide, c’est la mélasse et les cristaux, le sucre.

Remettre la betterave à sucre au goût du jour

La betterave à sucre ne ressemble pas à la betterave rouge que l’on connaît bien. Elle est blanche, plus charnue, et, bien sûr, plus sucrée.

C’est en 1747 que Andreas Margraff, un chimiste allemand, démontre que le goût et la texture du sucre extrait des betteraves sucrières sont identiques au sucre provenant de la canne à sucre. Révolution pour les pays nordiques: on peut alors s’approvisionner en sucre sans avoir à faire du commerce avec les pays du Sud.

Puis, est construite en 1881 la première raffinerie au Canada à extraire le sucre des betteraves. Elle se trouve à Farnham, au Québec, où le légume sucré pousse très bien. On utilise son sucre de la même façon que le sucre blanc raffiné. De plus, les déchets de la transformation de la betterave en sucre, dont la mélasse, sont aussi utilisés comme nourriture à bétail.

Cette production s’est malheureusement perdue au fil des ans, une chose que déplore Vincent Van Horne. Il espère être en mesure d’y redonner un peu vie avec son projet de «brhum».

Il n’a d’ailleurs pas été facile pour lui de trouver un producteur de betterave sucrière. C’est finalement un ami agriculteur qui a accepté de lui en faire pousser quelques rangs dans son champ cette année, afin qu’il puisse travailler ses produits.

Après l’eau-de-vie, le « Brhum » vieilli et épicé

Le rhum blanc de La Chaufferie est déjà offert en SAQ. Vincent Van Horne est conscient que c’est un produit spécial et qu’il pourrait en faire sourciller plus d’un. «Il y a beaucoup d’éducation à faire auprès de la population, avoue-t-il. Ce n’est certainement pas un rhum Captain Morgan! C’est un rhum agricole avec des arômes de verdure, un petit côté floral et une finition un brin minérale.» Pour l’apprécier à sa juste valeur, il suggère de l’essayer seul, avec un petit glaçon. Sinon, les amateurs de cocktails pourraient «locavoriser» leur recette préférée de punch en y ajoutant du «brhum».

©Daphné Caron

Le distillateur travaille à présent sur deux dérivés de son «brhum»: un épicé et un vieilli. Tous deux, évidemment, seront 100% locaux. «Toutes les épices seront des aromates d’ici», assure Vincent Van Horne, sans toutefois dévoiler trop de détails. Il est persuadé que ces deux nouveaux produits, qu’on attend dans les prochains mois, seront plus faciles d’approche pour les amateurs de spiritueux québécois, qui ont un penchant pour les rhums foncés.

Son ultime projet, cependant, c’est de populariser la production entièrement québécoise d’un alcool. Son rêve est que l’industrie distillatrice québécoise ne soit plus composée que de marques d’ici, mais qu’elle soit en mesure de proposer de plus en plus de produits faits ici, avec des ingrédients d’ici. «Mettre en valeur les aliments de notre terroir, recréer des traditions, mieux utiliser les récoltes avec des projets issus de l’économie circulaire: c’est l’avenir de notre industrie et j’y crois.»

Texte de Virginie Landry
©Crédits photos de Daphné Caron

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