Portrait d'entreprise

Une première ferme ostréicole à Anticosti

Texte et photos de Dominique Caron

Candidate au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’île d’Anticosti ne cesse de démontrer son caractère exceptionnel. Avec ses 222 kilomètres de long, la plus grande île du Québec est célèbre pour ses nombreux cerfs de Virginie qu’on chasse à l’automne. Ce territoire de la Minganie jouit également des richesses de la mer: homards, saumons et bientôt des huîtres.

«À Anticosti, on ne peut pas avoir des huîtres de façon naturelle. On est trop au nord et elles ne peuvent pas se reproduire ici», explique John Pineault, maire d’Anticosti et initiateur de la ferme ostréicole artisanale Manowin.

Manowin est un mot innu qui signifie «là où on va chercher des oeufs, de la nourriture», précise John Pineault en distribuant des autocollants du logo de Manowin où un cerf pose avec une petite abeille sur le museau.

John Pineault, maire d’Anticosti et initiateur de la ferme ostréicole artisanale Manowin

«Pour qu’il y ait reproduction chez les huîtres, il faut 4 journées consécutives avec des températures au-delà de 20 ℃ et ce n’est pas des conditions qu’on retrouve souvent ici», poursuit John en rigolant. Il faut dire que les hivers à Anticosti sont parfois très rudes. Ici, les vents dépassent parfois les 100 km/h et la glace recouvre une grande partie du sol en hiver.

Après avoir longtemps rêvé d’un projet de mariculture, c’est-à-dire l’élevage d’animaux marins, John Pineault a tranquillement délaissé cette idée. Au fil du temps, les huîtres se sont présentées comme une option intéressante malgré la littérature scientifique qui contre-indiquait une culture ostréicole dans cette région nordique.

Une technique de culture unique à Anticosti

Cela fait plus de trois ans que le maire et son équipe expérimentent la culture d’huître à Anticosti. Avec le conseil d’experts en ostréiculture du Nouveau-Brunswick, ils ont décidé d’utiliser le concept de poches sur table, une technique courante en France, qu’ils ont combiné avec des barillets australiens, un petit baril en plastique suspendu qui peut se balancer au rythme des vagues. Ainsi, les huîtres ne sont pas au sol et évitent d’être en langue de chat, donc beaucoup moins plates, plus intéressantes à déguster.

Et ce n’est pas le seul avantage. À marée basse, les organismes qui poussent sur les huîtres sont exposés au soleil. Ce traitement naturel fait en sorte de conserver «une belle huître propre», pour reprendre les mots de John Pineault. Dépendant des marées, l’huître est exposée à l’air pendant 6 à 8 heures. Pour ne pas perdre son précieux liquide interne, l’huître doit se fermer très fort, sollicitant son muscle qui est généralement plus gros et synonyme de plus de chair pour le consommateur.

Explorer l’inconnu

Sans antécédents pour guider le démarrage du projet, la première année a servi à tester l’équipement. Les tables et les paniers ont été mis à l’eau pour voir s’ils résisteraient aux intempéries. Les questions étaient multiples: «On a des phoques gris icit’ qui pèsent 200 livres. Est-ce qu’ils vont venir se coucher sur la table [à huître] comme si c’était une table à massage? Est-ce qu’on va se retrouver avec des oiseaux de mer? Est-ce que du bois à la dérive peut frapper les installations?» énumère John. Mais l’année s’est terminée sans aucune perte.

Alors qu’ils étaient presque prêts à débuter leurs activités à l’Anse-aux-Fraises, la pandémie de COVID-19 a retardé sensiblement les démarches nécessaires auprès des instances gouvernementales pour opérer légalement. Un autre défi s’est aussi présenté: l’échantillonnage de l’eau. Réalisée 1 à 2 fois par mois sur une période de 18 mois, cette étape obligatoire demandait de faire venir un consultant externe, ce qui aurait exigé un investissement de 72 000$. «C’est ben beau quand tu vis sur la côte, mais pas ici», lance le maire. Après négociation, il est entendu que les gens d’Anticosti sont en mesure de tester eux-mêmes l’eau après avoir suivi une formation. L’échantillonnage a commencé en mai dernier.

«La littérature scientifique nous disait qu’on était trop au nord, qu’en principe il n’y aurait pas de croissance», rappelle John. Et pourtant, la deuxième année d’expérimentation, entre le mois de juillet et octobre, ils ont obtenu un taux de 3% de mortalité et 15% de croissance. Quand on sait que 95% de la croissance des huîtres se fait entre mai et juillet… c’est encourageant! Cette année, 4200 huîtres sont entrées en culture en mai. À ce jour, après cinq semaines dans les paniers, les huîtres, toutes des malpèques, sont à 0% de mortalité.

La ferme Manowin vise une production locale seulement, sans exportation, à raison de 65 000 huîtres par an pour les pourvoyeurs de l’île et les visiteurs. On pourrait en retrouver à certaines tables montréalaises, comme chez le chef Philippe Mollé au bistro L’Arrivage du musée Pointe-à-Callières.

Il faudra toutefois attendre l’automne 2022 pour goûter ces huîtres «iodées, légèrement plus salées et charnues», témoigne John Pineault, un des rares chanceux qui a pu goûter à cette huître anticostienne.

©Crédits photos: Dominique Caron

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